J’ai une relation compliquée avec les sites ou applis de rencontres gays. J’ai connu le pire (mon agression en 2009) et le meilleur (ma rencontre avec mon ex George en 2012).
De temps en temps, je réinstalle Grindr sans mettre ma photo ni mon statut sérologique. En général, je la désinstalle au bout de quelques jours. Je préfère de loin les saunas et bordels. Des lieux de rencontres sexuelles plus « safe » et plus anonymes où je peux m’amuser sans avoir à dévoiler mon dossier médical ou me retrouver à faire de la prévention.
En décembre 2019, je lance avec mon ami Julien Ribeiro un compte Instagram intitulé « Séropos Vs Grindr » pour dénoncer et déconstruire la sérophobie sur les applis de drague gays sur le modèle du génial compte « Personnes Racisées Vs Grindr » créé par Miguel Shema. À cette occasion, je décide de réinstaller Grindr et pour la première fois je mets ma photo et mon statut sérologique. J’annonce la couleur dans mon texte de présentation : « Séropo et clean ! VIH INDÉTECTABLE = ZÉRO TRANSMISSION. » Plusieurs séropos viennent me parler en mode « c’est cool d’afficher ta photo et ton statut de façon aussi ouverte ici ». C’est pas forcément de la drague, mais plutôt de la solidarité avec ma démarche et c’est assez agréable.
Autre bonne surprise, plusieurs mecs sous PrEP viennent me draguer. Ça me conforte dans l’idée que la PrEP permet, entre autres, de lutter contre la sérophobie et de créer des passerelles entre séropos et séronegs.
Mais j’ai droit également à des réactions moins bienveillantes. Notamment un mec avec qui j’ai déjà baisé en bordel et qui me reconnaît avec ma photo. Il a l’air en panique du genre « quand on s’est vus je t’ai demandé si tu étais « clean » tu m’avais dit oui et là je découvre que tu es séropo ». Je prends le temps de lui expliquer que c’est tout à fait « safe » de baiser avec un séropo sous traitement avec une charge virale indétectable et que je ne suis pas « sale ». Il me répond que je joue avec les mots. Je lui ai envoyé un lien documenté sur le TasP en ajoutant que de toute façon on n’a même pas pratiqué de pénétration ensemble donc aucun risque. Il me bloque.
C’est toute la violence de ce type d’applis. Cette possibilité lâche et brutale de bloquer quelqu’un dès qu’il dit quelque chose qui ne va pas dans ton sens ou qui te questionne. Comme si dans la vraie vie on claquait des doigts pour faire disparaitre une personne avec qui on n’est pas d’accord.
J’ai aussi droit à une petite leçon de morale d’un mec qui veut se faire sucer avec capote. Je lui réponds avec humour que sucer du plastique c’est pas mon truc. Il m’explique que je suis « dangereux » et que c’est à cause de « gens comme moi » que le VIH continue à se propager. Je tente de lui expliquer que grâce à mon traitement je ne suis pas contaminant. Entre-temps il a dû jeter un coup d’œil à mes réseaux sociaux car il m’écrit « je vois que tu travailles dans la prévention, eh bien change de métier car tu as un discours dangereux ». Puis il me bloque.
Une autre discussion s’avère plus constructive. Un garçon m’aborde et me demande si je suis « clean ». Je lui réponds : « T’es sérieux mec tu as lu mon profil ? » Cinq minutes plus tard il revient, s’excuse et me dit : « Tu vas pas faire une capture écran de notre discussion sur ton compte Insta j’espère ? ». Je lui réponds : « Non, mais est-ce que tu comprends en quoi le terme « clean » est problématique ? » S’ensuit une longue discussion dans laquelle on parle de TasP, de PrEP, de sérophobie, etc. À la fin, il me remercie et me promet de ne plus utiliser ce terme.
Au final, le bilan de cette expérience est plutôt positif (on n’en sort jamais de ce terme !). J’ai eu peu de réactions vraiment sérophobes. Je pense que le fait d’afficher les choses aussi clairement m’a préservé des gens qui ont une peur irrationnelle du VIH. Cette expérience m’a conforté dans l’idée qu’afficher sa séropositivité à visage découvert sur une appli de drague pouvait faire avancer les choses. Bien sûr, ce n’est pas une injonction pour les séropos à le faire. Chacun fait comme il veut et surtout comme il peut.
J’ai la chance d’être dans une relation de couple stable. J’ai aussi le privilège d’évoluer dans un milieu militant, informé et concerné. Je suis affranchi de toute pression sociale, familiale ou professionnelle. Ce n’est pas le cas de nombreuses personnes vivant avec le VIH qui sont obligées de cacher leur statut sérologique à leur employeur, leur famille et même parfois leurs amis/amants.
Cependant, je reste convaincu que la visibilité fait avancer les choses. En France, la prévalence du VIH chez les HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) est très importante. À eux seuls, ils représentent chaque année 40 % des nouvelles découvertes de séropositivité. Où sont-ils sur les applis de drague ? Pourquoi ce tabou et cette invisibilisation ? Pourquoi certains séropos préfèrent se déclarer sous PrEP ? Tout simplement parce qu’ils ont peur du rejet et de l’isolement affectif et sexuel.
J’espère que dans un avenir proche, de plus en plus de séropos pourront afficher leur statut sérologique sans crainte d’être discriminés.
J’espère aussi que de plus en plus de séronégatifs comprendront qu’il est plus « safe » d’avoir un rapport sexuel avec un séropo dépisté et traité qu’avec un séroneg qui ne se fait pas dépister régulièrement et qui est peut-être séropo non traité SANS LE SAVOIR, donc très contaminant.