Chapitre 46 : Chemsex

En novembre 2016, je me lance dans une nouvelle aventure avec Stephan, un salarié de AIDES. Ensemble, nous lançons un groupe d’autosupport nommé « Chillout chemsex » au Spot Beaumarchais, un nouveau lieu de santé communautaire de l’asso.

Le chemsex est un sujet qui me concerne. Et pourtant je n’ai jamais rien consommé, sûrement à cause de mes parents alcooliques. J’ai toujours tenu les drogues très éloignées de moi. À 20 ans j’ai sniffé un rail de coke sur le parking d’un supermarché à Miramas et je n’ai rien senti (c’était sûrement un produit très coupé). Je n’ai jamais retenté par la suite.

Mais je vois de plus en plus de gens autour de moi, y compris des militants de AIDES, en souffrance avec leur consommation. J’apprends aussi le décès de plusieurs gays consommateurs et ça m’inquiète. Certains militants justement me disent qu’en tant que non-consommateur je manque de légitimité pour coanimer un groupe de parole sur le chemsex.

Lorsque vient la première soirée je trouve une petite formule pour me présenter : « Salut, je m’appelle Fred, je suis séropo, je ne consomme pas de chems, mais je consomme des mecs qui font du chemsex . » En gros, en tant que pédé, séropo et client de saunas/bars à cul, je me sens suffisamment concerné par le sujet pour coanimer ce genre de soirée. Et toc !

Le soir de la première on a la trouille avec Stephan, on a peur de se retrouver à quatre. Au final dix-huit participants se présentent à la soirée, on manque presque de chaises ! Les échanges sont passionnants, émouvants et bienveillants. À la fin, Stephan et moi on se prend dans les bras. Ce sera le début d’une belle aventure. La soirée existe toujours aujourd’hui.

En ce qui concerne le chemsex, je ne suis ni sociologue, ni addictologue ou expert du sujet. Et pourtant, cette pratique est au cœur de ma communauté. Elle touche mes potes, mes partenaires sexuels et des inconnus qui se confient à moi en privé sur les réseaux sociaux. Je dois dire que je me surprends moi-même de n’avoir jamais pris de drogues en dix-sept ans de vie parisienne car on m’en a proposé à de nombreuses reprises et souvent à des moments vulnérables de ma vie…

Il y a trois choses qui m’ont frappé par rapport au chemsex dans la communauté gay :
D’abord, j’ai constaté que c’était un phénomène qui touchait tout le monde. Du gamin de 20 ans, à la gym queen de 30 ans, en passant par le cadre supérieur de 40-50 ans. Tous ont en commun ce besoin de communier et de s’évader d’une vie parfois faite de stress et de pression qu’elle soit professionnelle, familiale, sociale ou sexuelle (culte de la performance, influence du porno, dépassement de soi).

Ensuite, il y a quelque chose qui revient souvent dans les échanges, c’est le manque de lien social. Paradoxalement, alors qu’on n’a jamais été autant connectés les uns aux autres avec les réseaux sociaux et les applis de drague, beaucoup de gays se sentent seuls. Très seuls.

Enfin, quand je pense au chemsex, je ne peux pas m’empêcher d’y voir une analogie avec la pratique du sexe sans capote dans les années 90-2000 avant le TasP et la PrEP. Une envie de transgresser l’interdit, de flirter avec le risque et de communier aussi. Une quête du plaisir interdit.

Sur les réseaux sociaux, je lis des commentaires très durs sur ceux qui pratiquent le chemsex. Les gens manquent parfois cruellement d’empathie y compris au sein de la communauté gay. Ils jugent sans essayer de comprendre pourquoi on en est arrivé là. De mon côté, j’essaie de rester le plus neutre possible car je suis bien placé pour savoir que certains mots peuvent blesser. Je ne pointe pas du doigt ceux qui pratiquent le chemsex. J’ai des amis qui consomment et qui ont l’air de bien gérer et de garder un équilibre dans leur vie. Après tout, l’alcool et le tabac aussi sont des drogues qui font beaucoup de dégâts.

La seule différence c’est que ce sont des drogues légales et qu’elles rapportent beaucoup d’agent à l’État.

Mais je ne minimise pas non plus cette pratique qui peut être très dangereuse quand elle n’est pas bien maîtrisée. Il y a eu plusieurs décès liés au chemsex et de nombreuses contaminations au VIH et à l’hépatite C (pour ceux qui pratiquent le slam , notamment). Ça me bouleverse à chaque fois que j’apprends le décès d’un garçon, souvent jeune. Trop jeune.

Je n’ai pas de solution miracle concernant le chemsex, mais une chose est sûre : ce n’est pas en pointant du doigt les gens qui le pratiquent qu’on va faire avancer les choses.

Dans les années 2000, les adeptes du sexe sans capote ont été traités de criminels. Certaines associations ont eu des propos très durs et stigmatisant à leur égard. D’autres, ont décidé de leur donner des espaces de parole pour réfléchir ensemble à des stratégies de réduction des risques.

On se souvient aussi ce que Guillaume Dustan , aujourd’hui un auteur respecté, s’est pris dans la gueule de son vivant pour avoir écrit dans ses livres qu’il était séropo et qu’il baisait sans capote.

Je suis intimement convaincu de la force du lien communautaire. C’est en parlant du sujet avec nos potes et nos plans cul qu’on peut faire bouger les choses. Écouter, conseiller, ne pas juger, ne pas braquer, ne pas se braquer. Recréer du lien social. J’aimerais aussi qu’on insiste sur la réduction des risques. Tellement de mecs ne savent pas doser le GHB , par exemple, et font des G-hole , voire pire (plusieurs décès sont survenus suite à une overdose de GHB).

Un jour, un garçon m’a écrit en privé sur Twitter un message qui résume bien le mélange de plaisir et de souffrance que peut susciter la pratique du chemsex : « J’en ai bavé il y deux ans. Comme beaucoup de drogues, il y a du plus et du moins. Mais ça crée de façon incontestable une alchimie positive pour la rencontre et la bienveillance entre gars, dans un monde pédé un peu trop anxiogène ces derniers temps… ».

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