En juillet 2006, mon frère se marie avec sa copine qui est enceinte de leur deuxième enfant. Je suis invité bien sûr et j’accepte de venir à condition d’être accompagné de Rodrigue, avec qui je suis en couple depuis presque deux ans.
Mon frère est d’accord, mais il me laisse gérer l’annonce aux grands-mères. Je me soucie peu de l’avis de ma grand-mère paternelle. Je n’ai jamais digéré le fait qu’elle ose dire que c’est Maman qui aurait tout gâché avec mon père… le jour de ses obsèques. Ce jour-là je suis parti de chez elle en claquant la porte de colère. Quel manque cruel d’empathie et de savoir-vivre. Elle s’est excusée, mais je ne lui ai jamais pardonné.
Avec ma grand-mère maternelle « mémé Yvonne », c’est différent. Je suis très attaché à elle. On s’appelle deux fois par semaine. Elle me soutient moralement et financièrement depuis la mort de Maman. L’autre grand-mère ne s’est jamais souciée de savoir si je mangeais à ma faim.
Je décide d’écrire une longue lettre à mémé Yvonne pour lui annoncer que je suis gay, heureux, en couple et que je vais venir au mariage avec mon amoureux. Je l’appelle quelques jours après l’envoi de la lettre, j’ai la gorge serrée.
Elle commence la discussion comme si de rien n’était et puis impatient que je suis, je la coupe « Mémé, tu as reçu ma lettre ?! ». « Oui » répond-elle. « Et ??? », « Eh bien, j’ai un peu pleuré au début et puis je l’ai relue et je suis heureuse pour toi. Tu sais, vous avez de la chance les jeunes, à mon époque on ne pouvait pas choisir son amoureux. »
J’ai les larmes aux yeux. Je savais qu’elle me soutiendrait ma mémé Yvonne.
Le jour du mariage devant la mairie de Miramas, je suis mort de trouille. Je vois bien que tout le monde nous regarde. On est le seul couple gay et Rodrigue est le seul Noir !
Je croise mon père, je lui fais la bise. On ne s’est pas vus ni parlé depuis mon départ à Paris il y a trois ans. Il a mauvaise mine. Sûrement l’excès d’alcool et de tabac. On échange des banalités, on est mal à l’aise. On est devenus des étrangers.
Je ne lui présente pas Rodrigue, mais il voit bien que je suis accompagné d’un garçon.
Le mariage se passe bien. Ma grand-mère paternelle vient me parler et me sort : « Tu aurais pu me le dire, j’ai des voisins homosexuels. » (…). On sympathise avec la copine d’un de mes cousins qui habite Paris. On se sent moins seuls.
Au final, on passe une soirée vraiment agréable et je suis fier de m’être affirmé avec mon mec devant toute ma famille.
De retour à Paris, mon frère m’appelle quelques jours plus tard : « Papa est à l’hôpital, ils l’ont mis en coma artificiel. » On découvre qu’il avait un cancer des poumons en stade terminal.
Gros dilemme pour moi, mon chef vient de partir en vacances en Israël et m’a laissé la responsabilité de son hôtel pour deux semaines. Je décide de rester à Paris et de voir comment la situation évolue. Deux jours plus tard mon père meurt à l’hôpital.
Je retourne à Miramas moins d’un mois après le mariage de mon frère pour enterrer mon père. Je pensais rester de marbre. L’amour que j’ai éprouvé pour lui dans mon enfance s’est transformé en haine à mon adolescence, puis en totale indifférence à l’âge adulte.
Et pourtant, le jour des obsèques, je verse quelques larmes. Je l’ai détesté ce père et je l’ai aimé aussi.
Je me retrouve orphelin à 25 ans.