Chapitre 7 : Gérard

Septembre 1993, je fais ma rentrée au collège Albert Camus de Miramas. J’ai 12 ans et pour la première fois depuis longtemps, j’ai une vie stable.

Alors oui, on habite un HLM pourri et on est pauvres (Maman est au RMI, ancêtre du RSA et c’est mémé Yvonne qui nous aide à payer nos courses), mais on est heureux.

Maman a totalement arrêté de boire. On est devenus très proches, presque inséparables. On adore aller à la médiathèque ensemble. C’est une dévoreuse de livres, les romans à l’eau de rose, mais aussi d’anticipation. Moi je loue les CD que je ne peux pas m’acheter, notamment ceux de MJ bien sûr, mais aussi Prince, Janet, Madonna et Mylène, des artistes qui me fascinent toujours aujourd’hui.

Autre activité favorite : la télé ! On aime regarder les émissions politiques ensemble, Maman est de gauche et c’est une femme cultivée, elle me transmet le goût pour la politique.
Le dimanche soir, on aime regarder l’émission 7 sur 7 présentée par Anne Sinclair.

Elle me fait découvrir aussi les soap opéras ! Dallas et Dynastie sont nos préférés. Comme ça passe en journée quand je suis au collège, elle enregistre les épisodes et on les regarde ensemble le soir en mangeant des crêpes (mon repas préféré, surtout celles de Maman).

J’ai l’impression qu’on rattrape des années gâchées par son alcoolisme et par mon père. Maman est très seule. Elle n’a pas refait sa vie avec un autre homme, elle n’a quasiment plus d’amies. Ses seules sorties sont les courses au supermarché ED, la médiathèque et mémé Yvonne qui habite l’immeuble juste en face.

Je deviens peu à peu son confident et j’apprends ce que mon père lui a fait subir pendant des années… Les coups, les infidélités, les humiliations… Maman m’explique qu’elle est restée avec lui pour que mon frère et moi on puisse grandir avec nos deux parents, mais elle le regrette amèrement et s’en veut terriblement. Moi, je l’aime encore plus de s’être sacrifiée pour nous.

Naturellement, je développe une haine et un rejet viscéral de mon père. Je ne veux plus me rendre chez lui et sa maîtresse. Ils ne font que boire et fumer. Ils me dégoûtent…

Au collège, ça se passe moyen. Je ne suis pas vraiment viril et mes attitudes un peu maniérées se remarquent. Un garçon de ma classe commence à me surnommer « Gérard » en référence au personnage de prof de sport très efféminé dans la sitcom AB Productions Les Filles d’à côté. Ça me rend malade. Je sais que je suis homo, mais je ne veux pas que ça se sache et encore moins que ça se voie. Je souffre de ce qu’on appelle aujourd’hui une homophobie intériorisée, un rejet de moi-même.

Avec du recul, je me dis que si j’avais ri à ses blagues débiles, il m’aurait lâché la grappe, mais sur le moment ça m’affectait beaucoup et ça se voyait. Du coup il en rajoutait et encourageait d’autres garçons à me surnommer « Gérard ». Ce petit manège va durer deux ans. Un calvaire.

Je me fais surtout des amies filles, notamment Paméla et Virginie, qui vont devenir comme des sœurs et sont toujours dans ma vie aujourd’hui.

Avec mon frère, on s’éloigne. Il adore bricoler ses Mobylettes et traîner avec ses copains. En 1995, il tombe amoureux de sa première copine, il a 17 ans. Elle deviendra sa femme et la mère de ses trois enfants. Ils sont toujours ensemble aujourd’hui.

La même année, pendant l’été 1995 je pars en colonie et je fantasme sur Samir , un grand de mon collège avec qui je partage ma tente plusieurs nuits.

Pour rigoler, il me donne son caleçon porté toute la journée. Je m’enivre de son odeur de mâle en reniflant son caleçon. Impossible de dormir tellement je bande ! Je suis obligé d’aller aux toilettes pour me branler en cachette.

De retour de colo, personne ne vient me chercher au bus ! J’apprends que Maman a fait une rechute avec l’alcool (elle en fera plusieurs au fil des années, à chaque fois de courte durée).
Sûrement le fait de s’être retrouvée seule pendant deux semaines, mais je lui en veux. Je me sens humilié d’être le dernier ado au bus, seul avec les monos.

Je me sens tellement mal que je commence à bégayer. Un bégaiement qui va devenir un vrai handicap tant parler en public va devenir une épreuve quasi insurmontable.
Je vais mettre des années à m’en débarrasser et aujourd’hui encore il m’arrive de bégayer quand je suis stressé, ému ou juste fatigué.

À la même époque, Maman est diagnostiquée avec un lourd diabète sans doute lié à son alcoolisme. Elle doit vérifier son taux de sucre tous les jours et se faire des piqûres d’insuline. Parfois, elle fait de grosses crises d’hyperglycémie (trop de sucre) qui déclenchent ce qui ressemble à des crises d’hystérie. C’est très impressionnant de voir sa mère convulser et pousser des cris comme si elle était possédée. Inversement, quand elle fait une crise d’hypoglycémie (manque de sucre), elle se sent très faible, à deux doigts du malaise.

Je veille sur elle, je suis très protecteur. Je surveille aussi quand on est invités à dîner qu’elle ne boive pas d’alcool. C’est un poison pour elle et je ne veux pas qu’elle fasse de rechute.

Ma chambre donne sur un terrain de boules. Je vois des papys jouer toute la journée et je rêve d’être ailleurs, loin… Je me réfugie dans ma passion pour Michael Jackson. Son nouvel album History tourne en boucle toute la journée. Je danse jusqu’à l’épuisement.

Noël 1995, je suis tout excité car Maman m’offre le nouvel album de Mylène Farmer Anamorphosée et la VHS de Design of a Decade qui regroupe tous les clips de Janet Jackson.

On passe un réveillon modeste, mais chaleureux.

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