Interview publiée dans le Remaides 113 (Automne 2020)
Acteur connu dans le porno gay depuis plus de dix ans et escort, Mathieu Ferhati dit souvent qu’il assume tout dans sa vie. Le 8 septembre dernier dans un entretien vidéo, il parlait, pour la première fois publiquement, de sa séropositivité. Aujourd’hui pour Seronet, il explique ce qu’implique le fait d’être séropositif dans l’industrie du porno en France.
Qu’est-ce qui vous a poussé à parler publiquement de votre séropositivité dans une vidéo sur You Tube ?
Mathieu Ferhati : Quand j’ai découvert ma séropositivité. J’étais assez informé sur le VIH car je vivais, depuis cinq ans, avec un garçon séropositif, mais cet ex n’arrêtait pas de me dire qu’il fallait cacher son statut sérologique et ne pas en parler. Cette vision des choses n’était pas la mienne car je suis quelqu’un qui assume tout dans sa vie et surtout je n’ai pas à avoir honte de mon statut sérologique. J’ai donc commencé à en parler autour de moi et notamment à mes partenaires et malheureusement, cela c’est très mal passé. J’ai connu des réactions très sérophobes. Des garçons qui ont disparu du jour au lendemain ; d’autres qui me bloquaient sur les applis de rencontre. Pour me préserver de ces rejets, j’ai décidé de dire que j’étais sous Prep et ça a plutôt bien fonctionné au départ jusqu’à ce que je vive une très mauvaise expérience en Thaïlande.
Vous avez déclaré avoir été victime d’une tentative d’extorsion en raison de votre statut sérologique, que s’est-il passé exactement ?
Lors d’un voyage en Thaïlande, il y a trois ans, j’ai accepté un plan à trois sans préservatif avec deux mecs qui se disaient sous Prep. Je leur ai dit que j’étais moi-même sous Prep. En réalité, j’étais sous Tasp, avec une charge virale indétectable, donc je savais que je ne pouvais pas transmettre le VIH. Après notre rapport sexuel, un des deux hommes s’est connecté sur Grindr et m’a dit qu’un de ses contacts venait de lui dire que j’étais séropositif et que je cherchais sciemment à transmettre le VIH à mes partenaires. J’ai nié, mais il m’a demandé de prouver que je n’étais pas séropositif en allant faire un test avec lui à l’hôpital. J’ai découvert qu’il n’était pas sous Prep et j’ai commencé à paniquer car j’avais menti sur mon statut sérologique. J’étais dans un pays étranger et dans certains pays une personne séropositive peut être poursuivie en justice pour tentative de transmission du VIH même sous traitement avec une charge virale indétectable. La soirée a viré au cauchemar quand il m’a confisqué ma pièce d’identité et a proféré des menaces de mort contre ma famille. J’ai fini par lui dire que j’étais séropositif. Je l’ai accompagné à l’hôpital pour qu’il fasse un TPE. Sur place, il a exigé que je paie ses frais hospitaliers et en sortant il m’a demandé de retirer de l’argent à un distributeur. J’étais tétanisé par la peur, c’était comme une prise d’otage psychologique mais j’ai refusé de céder à sa demande. De retour à son hôtel, il m’a proféré des horreurs sérophobes en me disant que les personnes comme moi ne devraient pas avoir le droit de vivre. J’ai trouvé la force de quitter sa chambre. J’ai regagné mon hôtel, je me suis enfermé pendant deux jours totalement traumatisé et puis finalement j’ai décidé d’aller à la police pour porter plainte contre lui. Depuis ce jour là, j’ai décidé que plus jamais je ne mentirai sur ma sérologie et que je n’avais pas à me cacher ni à avoir honte d’être séropositif.
Le recours au TPE n’est pas préconisé lors d’un rapport sexuel sans préservatif avec une personne sous Tasp en charge virale indétectable, que vous ont dit les médecins sur place ?
Quand j’ai parlé au médecin urgentiste en Thaïlande, je lui ai dit que je pouvais le mettre en contact avec mon infectiologue en France et que le fait que je sois en charge virale indétectable était équivalent à un risque zéro pour mes partenaires, mais les médecins que j’ai vus n’avaient pas l’air au fait du Tasp en tant qu’outil de protection. J’étais très surpris car il existe pourtant une vraie communauté LGBT en Thaïlande.
En quoi le VIH reste-t-il un sujet tabou dans l’industrie du porno français ?
Dans le porno gay, ce n’est pas vraiment un souci et les résultats de tests sérologiques ne sont pas exigés. Ils partent du principe que chacun est responsable de sa propre prévention. En revanche, dans le porno hétéro, c’est très compliqué. Ils sont restés coincés dans les années 80 et n’ont pas mis à jour leurs connaissances sur les traitements et stratégies actuels comme le Tasp ou la Prep. Un des plus gros producteurs de porno hétéro français demande systématiquement les résultats de tests sérologiques des acteurs et actrices. Dès qu’il voit le mot « séropositif », il refuse de faire signer un contrat ; peu importe que la charge virale soit indétectable ou pas. Et le problème, c’est que les petites boites de production dépendent de ce gros distributeur donc elles ne veulent pas prendre le risque de voir leurs productions mises à l’écart en raison d’une personne séropositive. C’est stupide car un résultat de test sérologique négatif ne correspond pas à la sérologie en temps réel et la personne est peut-être en primo infection sans le savoir alors qu’avec une personne séropositive en charge virale indétectable, il n’y a aucun risque !
Quand j’ai décidé de parler de ma séropositivité sur You Tube, certaines personnes de mon entourage ont essayé de me dissuader en me disant que ça allait nuire à ma réputation, mais j’ai aussi reçu des messages de soutien de certains collègues et puis je me suis dit qu’il fallait bien que quelqu’un se lance pour briser ce tabou.
Quels seraient les moyens de sensibiliser cette industrie à la réalité du VIH en 2020, et notamment du Tasp ?
Pas seulement dans l’industrie du porno, mais dans toute la société, je pense qu’il faut passer à une étape supérieure de la prévention et montrer la réalité du VIH en 2020. Comment on vit avec, quels sont les traitements, ça veut dire quoi avoir une charge virale indétectable ? On n’est plus dans les années 80, les années sida où les personnes mourraient en quelques mois. Aujourd’hui, le VIH est une maladie chronique. Et moi, je vis bien avec, peut-être mieux que si j’étais diabétique, par exemple, et c’est pour ça que j’ai décidé de prendre la parole et d’être visible. Au quotidien, on fréquente tous des personnes séropositives, souvent sans le savoir. Ton coiffeur, ton vendeur de légumes, ton dentiste, etc. Il faut qu’on soit plus visibles dans la société.
Certaines stars internationales du porno (1) ont décidé de faire de leur séropositivité un combat militant pour faire changer les mentalités, imaginez-vous un mouvement similaire en France ?
J’aimerais bien être à l’initiative d’un mouvement comme ça en France, mais beaucoup de personnes ont encore peur d’en parler publiquement. La sérophobie est encore trop présente, y compris dans la communauté gay. Sur les applis, on me demande si je suis clean. Je réponds que je suis séropo en charge virale indétectable et souvent je me fais bloquer. Du coup, beaucoup de mecs préfèrent dire qu’ils sont sous Prep, mais ce n’est pas rationnel tout ça. La Prep ne protège que celui qui la prend tandis que le Tasp protège aussi mes partenaires.
Qu’avez-vous envie de dire aux personnes vivant avec le VIH ?
À toutes les personnes qui vivent avec le VIH et qui sont isolées, j’ai envie de vous dire que vous n’êtes pas seules. On peut se regrouper et se soutenir. J’aimerais beaucoup monter une association contre la sérophobie avec mon meilleur ami, qui est séropo lui aussi, alors si certaines personnes veulent rejoindre le mouvement, elles sont les bienvenues. Il est temps que ça change !
(1) : Aiden Shaw, Darren James, Kayden Gray, etc.
Propos recueillis par Fred Lebreton.
Aux États-Unis, l’industrie du porno discrimine aussi
On pourrait penser que la situation est meilleure dans l’industrie du porno aux États-Unis où la Prep est accessible depuis 2012 et le Tasp bien établi avec des campagnes comme U = U (Indétectable = Instransmissible) portée par des personnalités médiatiques comme Jonathan Van Ness (1), mais en réalité les acteurs-rices séropostifs-ves sont tout autant discriminés-es qu’en France, comme l’a démontré une enquête publiée dans le Rewire News Group en septembre 2019. On apprend dans cette enquête que le Free Speech Coalition (FSC), un organisme de l’industrie du porno, a mis en place un protocole de dépistage depuis 2011 appelé le Pass (Performer Availability Screening Services) qui consiste à faire passer des tests VIH et IST toutes les deux semaines aux acteurs-rices de porno. En cas de résultat positif à une IST, la personne concernée est interdite de tournage jusqu’à ce que le prochain test à cette IST soit négatif. En cas de test positif au VIH, la personne est interdite de tournage à vie !
Ce protocole Pass est fondé sur le volontariat et il est utilisé par les gros studios de l’industrie du porno hétérosexuel, mais il n’a pas été adopté par l’industrie du porno gay ou par certaines petites sociétés de productions indépendantes qui le trouvent discriminant. En effet, à l’ère de la Prep et du Tasp, il est difficile de comprendre pourquoi une personne vivant avec le VIH sous traitement avec une charge virale indétectable serait interdite à vie de tourner dans un film porno.
L’enquête explique que cette discrimination perdure principalement du fait de deux syndicats d’acteurs-rices très puissants aux États-Unis, le Adult Performers Actors Guild (Apag) et le International Entertainment Adult Union (IEAU). Phyllisha Anne, la fondatrice de l’IEAU, a d’ailleurs fait des déclarations sensationnalistes et alarmistes qui ne font qu’entretenir la sérophobie dans cette industrie : « Si on accepte des acteurs-rices séropostifs-ves, on va se retrouver avec une épidémie de sida comme en Afrique ». Phyllisha Anne et son syndicat remettent également en cause l’efficacité du Tasp : « Si les personnes séropositives ne mangent pas bien ou ne prennent pas leur traitement chaque jour à l’heure exacte, elles redeviennent rapidement contaminantes », affirme t-elle avant d’ajouter : « Si vous êtes séropositif, vous n’avez plus le droit d’être dans le porno ». Une affirmation démentie par les experts-es : « Cela prend un mois ou deux sans traitement avant que la charge virale remonte » précise ainsi Paul Volberding du centre de recherche sur le VIH/sida de l’Université de Californie.
En janvier 2019, la FSC a tenté de faire évoluer les choses en proposant de créer un programme Pass Plus destiné aux personnes séropositives sous traitement avec une charge virale indétectable, afin de leur permettre de revenir dans les circuits de tournage des gros studios. Une proposition rejetée avec force par les deux syndicats : Apag et IEAU. Ce refus catégorique est d’autant plus regrettable que le fait d’inclure des acteurs-rices de porno vivant avec le VIH dans des productions mainstream permettrait de briser certaines représentations liées au VIH et donnerait de la visibilité au message U = U auprès du grand public. En effet, les États-Unis représentent un des plus gros marchés du cinéma porno dans le monde. Promouvoir le Tasp et la Prep à travers cette industrie du divertissement pour adultes serait une aubaine de santé publique. C’est sans compter sur Phyllisha Anne et ses collègues qui restent bloqués dans une vision datée, anxiogène, sérophobe et scientifiquement erronée des personnes vivant avec le VIH.
