6 mai 2012 : place de la Bastille à Paris, je fais partie des milliers de Parisiens qui se sont réunis spontanément pour fêter la victoire de François Hollande et de la gauche aux présidentielles. Après dix-sept ans de droite de plus en plus dure (douze ans avec Chirac et cinq ans avec l’horrible Sarkozy), cette victoire est comme une libération.
Les gens s’embrassent, le champagne coule, la joie exulte. L’espoir est là.
En tant que militant gay et citoyen de gauche, je suis doublement heureux car l’ouverture du mariage aux couples homosexuels fait partie des promesses de campagne du candidat Hollande. Je vais vite déchanter.
Le gouvernement Hollande va tout faire de travers avec cette loi. Ils traînent du pied. Des débats interminables ont lieu pendant des mois laissant le temps à un mouvement homophobe issu de la droite catholique de s’organiser. Je vais les appeler par le vrai nom qu’ils auraient dû avoir « la manif de la honte » (LMDH).
LMDH va agir vite et fort. Ils ont de l’argent et organisent des manifestations monstres avec des centaines de bus venant de toute la France. Ils obtiennent une grande visibilité par les médias et les chaînes d’info en continu qui leur donnent une tribune sans précédent et des heures entières de live avec peu de contradicteurs.
Officiellement, les dirigeants et porte-parole LMDH ne sont pas homophobes. En réalité, leurs milliers de soldats, eux, ne s’en cachent pas et tiennent des propos de haine et de rejet des personnes LGBT + à chaque manif. Je remercie d’ailleurs les journalistes du Petit Journal de Yann Barthès qui infiltrent chaque manif de la honte et vont immortaliser des séquences cultes comme le fameux « c’est contre naturreuuuh ». Ils se feront traiter de « journalopes », insulte préférée des fachos…
Soudainement, en France, tout le monde a un avis sur ce que les médias appellent, à tort, le « mariage gay ». On interroge la boulangère, le curé, la mamie qui se promène dans la rue, etc. Mais on n’entend peu les personnes concernées.
Pendant des mois et des mois, les personnes LGBT + vont subir une vague d’homophobie sans précédent. Certains propos tenus sont d’une violence inouïe.
C’est une époque anxiogène pour moi. À l’époque, je viens de me mettre activement sur Twitter et je passe des soirées entières à me clasher avec des homophobes parfois jusqu’à 1 heure du matin… Le lendemain, je me retrouve à la machine à café de mon travail avec des collègues hétéros qui ont, bien entendu, un avis sur la question. Certains se permettent de dire tout haut qu’ils sont favorables à un référendum. Un référendum sur MES droits ! C’est frustrant et rageant.
Pendant l’été 2012, je suis de passage à Miramas pour voir mon frère et ses enfants. Lui aussi a un avis sur le sujet dont tout le monde parle : « Le mariage ça me dérange pas, mais les enfants je suis pas d’accord. » Il ne se rend pas compte de la violence de cette phrase pour moi. « Pas d’accord »? Donc si un jour je décide d’avoir un enfant, il ne fera pas partie de la famille ?
Le pire dans cette histoire c’est que personnellement, je n’ai jamais eu envie de me marier ! J’ai toujours considéré que c’était une institution bourgeoise et trop hétéro normée. Mais j’ai envie d’avoir le choix de changer d’avis un jour si je le souhaite. J’ai envie de danser sur On va s’aimer de Gilbert Montagné et de me bourrer la gueule aux mariages de mes potes pédés et gouines. J’ai envie d’être considéré comme un citoyen à part entière.
Ironie du sort, le coup le plus dur ne viendra pas des cathos intégristes qui sont de toute façon nos ennemis depuis toujours mais de Hollande lui-même ! Une trahison que les militants LGBT + ne sont pas prêts d’oublier… Le 20 novembre 2002, Hollande invoque « la liberté de conscience » aux maires qui refuseraient de célébrer des mariages entre personnes du même sexe si la loi le prévoyant était votée.
Je suis tellement choqué et en colère suite à cette déclaration que je rejoins le soir même un rassemblement d’activistes LGBT devant le siège du PS, rue de Solférino.
Les mois qui suivent sont pénibles. Les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat sont interminables. Comme tout le monde, je suis épaté par le charisme de Christiane Taubira, la seule qui va sauver l’honneur du gouvernement dans ce fiasco général, mais ça n’efface pas le reste.
La droite et l’extrême droite s’allient à la « manif de la honte » dans ce combat contre l’égalité des droits. À chaque manif, on voit des élus de l’UMP et du F Haine bras dessus bras dessous avec leurs amis cathos intégristes. La nausée.
Je participe de mon côté à toutes les manifs de soutien à la loi. Il y a du monde et une bonne ambiance, mais les médias ne nous donnent pas autant de visibilité que « la manif de la honte ».
Finalement, le 23 avril 2013, après onze mois de débats publics et politiques et onze mois d’homophobie décomplexée, le projet de loi est ENFIN adopté par l’Assemblée nationale. Le soir même, je rejoins des amis de AIDES place Baudoyer devant la mairie du 4e à Paris pour célébrer cette victoire qui nous a coûté si cher.
Le 29 mai 2013, je suis devant ma télé pour suivre en direct le premier mariage d’un couple gay. Une victoire durement acquise, mais une victoire quand même.